Sodoma, enquête au cœur du Vatican
Vous avez probablement entendu parler du livre Sodoma, enquête au cœur du Vatican, Edit. Robert Laffont, publié le 24 février dernier.
Cette « enquête de terrain », qui veut se présenter comme une investigation scientifique, a retenu immédiatement l’attention des médias mondiaux. L’auteur est un sociologue français, Frédéric MARTEL un activiste homosexuel notoire.
Si lors de sa parution le livre a été publié en 8 langues et dans 20 pays, à présent on a est déjà à 15 langues dans 41 pays. C’est dire les considérables moyens économiques mis en œuvre pour diffuser l’ouvrage.
La thèse générale de l’auteur est que le Vatican est un des lieux où l’homosexualité est la plus active au monde. MARTEL affirme qu’au Vatican la plupart des cardinaux, évêques et monsignori « utilisent la morale sexuelle et l’homophobie pour dissimuler leurs hypocrisies et leurs vies doubles ».
Etant moi-même docteur en sociologie, comme MARTEL,
j’en ai rédigé une analyse critique.
Ma position personnelle est qu’il est bon de faire la lumière sur ce sujet délicat, quoi qu’il nous en coûte. Mais, au nom de la vérité, il faut dénoncer la méthodologie contestable de ce Monsieur MARTEL.
J’ai donc écrit cet article en pensant que certains de nos amis paroissiens n’auraient pas le courage ou le temps de lire cette brique de 600 pages.
Ne convient-il pas de les alerter et les informer sur la réelle valeur de cette publication ?
Manuel-Luis Lopez
Analyse critique
Un ami, qui ne partage pas avec moi la foi catholique, a insisté pour que je lise SODOMA, Enquête au cœur du Vatican, Ed. Robert Laffont, de Frédéric MARTEL. Ce livre, publié en huit langues dans 20 pays le 21 février 2019, a retenu l’attention des médias mondiaux. C’est en tant que docteur en sociologie que je réagis ci-après.
Dans une note préliminaire, l’auteur et les éditeurs déclarent que « ce livre s’appuie sur un grand nombre de sources. Au cours de l’enquête de terrain qui a duré plus de 4 années, près de 1.500 personnes ont été interrogées au Vatican et dans 30 pays : parmi elles, 41 cardinaux, 52 évêques et monsignori, 45 nonces apostoliques et ambassadeurs étrangers, et plus de 200 prêtres et séminaristes ». En plus, l’enquête aurait obtenu l’aide de 80 collaborateurs.
La thèse générale du livre est que le Vatican est un des lieux où l’homosexualité est la plus active au monde. MARTEL affirme qu’au Vatican la plupart des cardinaux, évêques et monsignori « utilisent la morale sexuelle et l’homophobie pour dissimuler leurs hypocrisies et leurs vies doubles. (…) Ces homosexuels cachés sont majoritaires, puissants et influents ».
Cependant, en mineure, émerge avec force une sous-thèse concernant la nature même du sacerdoce. MARTEL soutient que son investigation suggère « qu’en interdisant aux prêtres de se marier, l’Eglise est devenue sociologiquement homosexuelle ; et en imposant une continence contre-nature et une culture du secret, elle est pour une part responsable de dizaines de milliers d’abus sexuels qui la minent de l’intérieur. Ils [les responsables du Vatican] savent aussi que le désir sexuel, et d’abord le désir homosexuel, est l’un des moteurs et des ressorts principaux de la vie du Vatican ».
Docteur en sociologie, l’auteur présente son livre comme une « enquête de terrain ». Néanmoins, on est aussitôt impressionné par le nombre encombrant d’anecdotes, rumeurs, ragots et commérages de toutes sortes qui empêchent d’avancer en confiance dans la lecture du livre. Parfois cela devient énervant, voire répugnant. Ainsi, MARTEL consacre beaucoup de pages (tout le chapitre 20) et quantité d’énergie à insinuer que Benoît XVI pourrait être homosexuel actif et que cela aurait pu constituer d’ailleurs une des raisons de sa renonciation. Cependant, après de multiples digressions, il finit par dire qu’il y a chez Benoît XVI une « homosexualité latente » ; plus loin, qu’il s’agirait d’une « homosexualité ascétique » et finalement d’une « homosexualité maîtrisée ». Mais, en attendant, il semble s’être complu à salir l’image de l’ancien pape. On croit rêver : où sont les preuves de tous ces diagnostics ? Est-ce cela la démarche d’enquête dont il se réclame ?
Alors que MARTEL insiste sur le nombre de ses collaborateurs, la masse des personnes interrogées et la quantité des voyages effectués pour se documenter sur son sujet, il ne nous dit pas sur-le-champ qu’il est lui-même un activiste homosexuel. Pourtant, le grand sociologue Pierre Bourdieu souligne combien l’exercice du métier de sociologue oblige à s’interroger sur la place que prennent nos propres convictions dans le raisonnement sociologique, le choix des hypothèses et l’élaboration des résultats. La « scientificité » passe, souligne BOURDIEU, par la reconnaissance de l’incompressible part de subjectivité ou d’arbitraire des choix d’analyse. Il faut également « objectiver » sa pratique plus que rechercher l’inaccessible objectivité. Alors seulement il devient exact que, par la méthode comparative et par l’étude des corrélations, la sociologie peut dégager, sinon des lois universelles, du moins des systèmes d’explication et d’interprétation.
Mais point de telles méthodologies chez MARTEL, où les potins et les médisances tiennent lieu de preuves. Les lentilles déformantes de l’auteur alimentent ses thèses. Parfois, ses attaques deviennent étonnantes. Ainsi, il nous affirme que le Cardinal américain Raymond Burke souhaite être traité au féminin : « son Éminence est bien portante ». Dit comme cela, le lecteur non prévenu peut être amené à imaginer une perversion chez le Cardinal. Toutefois, on est étonné de constater qu’aucun de ses 80 collaborateurs, ni son propre traducteur italien, ne lui aient appris qu’en italien, l’article pour dire « vous » est le même que l’article pour dire « elle » …
Un des points qui dérange le lecteur est que MARTEL croit tout avoir découvert sur le thème de l’homosexualité au cœur du Vatican. Il se targue du fait que la majorité des personnes interrogées lui ont répondu, parfois sans retenue, et il va jusqu’à soutenir que « De manière anonymisée, les confesseurs de [la Basilique] Saint-Pierre me racontent tout (sic). Ils savent quel cardinal est impliqué dans telle affaire de corruption ; qui couche avec qui ; quel bel assistant rejoint le soir son patron dans son appartement de luxe ; qui aime les gardes suisses ou préfère les gendarmes plus virils ». Est-il croyable que des cardinaux, évêques et prêtres, et en particulier des confesseurs qui ne connaissaient pas MARTEL, se soient volontiers ouverts à lui, parfois à plusieurs reprises ?
Un autre trait de l’écriture de MARTEL est l’utilisation abusive de l’insinuation, la démarche de laisser entendre des faits, par approches successives, sans les exprimer ouvertement. C’est la technique de la substitution de responsabilités : puisque parfois MARTEL n’ose pas se permettre d’affirmer clairement tel fait, il le suggère progressivement dans l’esprit du lecteur pour que celui-ci le fasse finalement sien. Par ex., il aurait aimé démontrer que Benoît XVI est un homosexuel pratiquant et que le cardinal Georg Gänswein était son compagnon de vie. Alors, sous l’intitulé accrocheur « Benoît XVI a osé », il va décrire dans le détail la consécration à Saint-Pierre de Mgr Gänswein comme archevêque. MARTEL écrira : « Jamais aucun pape moderne n’a eu l’audace d’une telle messe de couronnement, une telle démesure, une telle folie pour son beau protégé (sic). MARTEL décrit alors, avec luxe de détails, la cérémonie qui s’est déroulée « sous la coupole grandiose de Michel-Ange et les colonnes baroques de stuc doré en baldaquin de Bernin ». Une cérémonie, ajoute MARTEL, « gravée à jamais dans la mémoire des 450 statues, 500 colonnes et 50 autels de la basilique ». Tout y passe : la procession, « le pape avec son immense mitre jaune topaze et or, debout sur une petite papamobile d’intérieur, véritable trône à roulettes, (…) les calices sont incrustés d’or ; les encensoirs fument ». Etc., etc.
Mais ce que MARTEL semble ignorer c’est que les rites liturgiques, au moins dans l’église catholique, ne s’inventent pas lors de telle ou telle occasion, ils ne peuvent pas souffrir d’improvisations. Ils ont leur source dans le Nouveau Testament et sont reproduits tels quels dans toute l’Eglise, que ce soit à Rome, à Saint Jacques de Compostelle ou dans n’importe quel autre lieu du monde. Bien entendu, les environnements seront différents et la coupole et les calices de Saint-Pierre ne se trouveront pas ailleurs, mais les cérémonies, en tant que telles, seront les mêmes.
Entendons-nous bien : il est probable qu’il y ait des homosexuels pratiquants au Vatican. Mais la preuve de cette existence et la dimension éventuelle de ce phénomène ne peuvent en aucun cas nous être fournies par un concentré de commérages, car, comme l’a déclaré avec force le pape François le 12 mars 2017 : « Les commérages sont comme le terrorisme ».
Par ailleurs, il paraît curieux de constater que les attaques les plus virulentes de l’auteur se fassent contre des personnes déjà décédées et qui donc auraient du mal à se défendre. Malgré cela, MARTEL précise à la fin de son « enquête d’investigation », que « Ce livre est accompagné et défendu par un consortium d’une quinzaine d’avocats », coordonné par l’avocat de l’auteur. Pourquoi une telle pléiade d’avocats ? Etant moi-même sociologue, c’est la première fois de ma vie que je vois un confrère s’entourer de tant de précautions…
Manuel-Luis Lopez