Ce texte reprend des extraits de l’article paru en octobre 2019 dans la revue LES ETUDES sous la signature de Mr Jean-Louis SCHLEGEL, sociologue des religions, philosophe et éditeur.
Vous en trouverez le texte complet sur le site de la revue ETUDES
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Objet :
Les causes de la chute de la pratique dominicale sont sans doute nombreuses.
Parmi elles, il faut faire sa place à l’évolution récente des styles liturgiques.
Alors que la réforme conciliaire voulait promouvoir une réelle participation de tous à l’action liturgique, une «resacralisation » a creusé de nouveau la distance entre clergé et fidèles.
L’auteur pose la question « dans quoi, ne nous retrouvons-nous pas ? »
Dans la liturgie et la pastorale issues du souffle de Vatican II ou dans celles promues postérieurement.
Deux des courants de et dans l’Eglise qui, elle, se doit de rassembler les catholiques.
« La réforme liturgique d’après Vatican II n’est pas allée à son terme ».
Voilà la thèse de l’auteur, qui ajoute :
« non seulement la réforme liturgique d’après Vatican II n’est pas allée à son terme, on a assisté à une dérive de la messe dite « de Paul VI », en l’occurrence à une réorientation vers un cérémonial figé, qui fait que la communauté assiste à la messe sans être invitée à une réelle participation.
Cette dérive est allée de pair avec une sacralisation et une cléricalisation qui font que toute l’action liturgique, ou presque, se passe dans le chœur, devant un peuple de laïcs transformés en spectateurs passifs ».
« Le respect du rituel garantirait-il le respect dû au mystère infini qui se joue sur l’autel ? Toutes les rubriques doivent être suivies à la lettre, de manière à prévenir et à empêcher tout abus d’où qu’il vienne, du célébrant surtout mais aussi de l’assemblée. »
« On a assisté à une incontestable resacralisation doublée d’une recléricalisation »
« … ignorer purement et simplement les mutations dans la culture, l’habitus du «mouvement » et de la dissémination qui s’est installé, en lui opposant l’immobilité voire l’éternité du rite, est un pur contresens, en tout cas en régime chrétien, où l’incarnation de Dieu dans l’Histoire a, de fait, changé la donne ».
« … sous prétexte de restauration, on a aussi assisté sous Jean Paul II et Benoît XVI à une incontestable « resacralisation » doublée d’une « recléricalisation » …
Les gestes et postures corporelles sont à l’unisson. La simple inclinaison du corps pour marquer le respect est devenue insuffisante : elle a été souvent remplacée par des agenouillements copieux, longs et « appuyés », que nul n’est censé ignorer. De même pour l’ostension de l’hostie et du calice au moment de la consécration : nul ne peut, de la sorte, ignorer qu’on est au sommet sacré de la messe. … » …
« Deux remarques s’imposent à ce sujet. D’une part, pour les fidèles dans l’assemblée, la piété très démonstrative – et très subjective – dont témoignent ainsi ces prêtres et qu’ils souhaitent imposer à tous, est pénible.
Les « anciens » avaient compris qu’une certaine « retenue » ou une « sobriété » dans l’expressivité respectaient la subjectivité des autres…
D’autre part, on voit bien ce qui est mis en avant à sens unique dans la richesse de sens de l’action eucharistique : c’est la centralité absolue de la consécration (et de la transsubstantiation) et l’adoration de la Présence réelle. » …
« Au moment où la disette de prêtres se fait de plus en plus intense et pose toute sorte de problèmes, y compris de survie, aux paroisses, on pourrait même se dire qu’il n’y a qu’une urgence : accélérer la prise de responsabilité des laïcs » …
« Mais c’est l’inverse qui s’est produit et continue de s’accentuer : on n’a cessé et on ne cesse de réaffirmer le rôle unique et irremplaçable du prêtre dans l’assemblée, et des prêtres tiennent plus que jamais à ce rôle exclusif. » …
« Quoi qu’il en soit, l’assemblée en est plus que jamais réduite à écouter religieusement la prière eucharistique que le seul célébrant prêtre est habilité à adresser au Père. Pour les paroissiens moins motivés, pour les jeunes aussi, sa longueur et surtout son écoute passive rendent pénible ce moment, qu’ils subissent.
Il y a une dispute pour savoir si le prêtre agit alors « à la place » du Christ (dans un rôle « fonctionnel ») ou s’il est « ontologiquement », dans son être même, un « autre Christ »…
…
Qu’est-ce qu’une liturgie vivante ?
« … On ne réclame pas du tout ici une messe … avec « du bruit et de la fureur ».
Des messes vivantes, participantes, oui, mais aussi recueillies, permettant d’intérioriser les paroles et les gestes, avec une invention de formes et de gestes, de la beauté (oui, de la beauté !) pour une « liturgie » qui tout simplement donne tout son sens à l’eucharistie…
La messe selon Benoît XVI est finalement « bavarde », en multipliant de nouveau lourdement, sans grâce ni nécessité ni beauté, les paroles, les rites et les gestes obligés.
Le rite de la communion, par exemple, qui pourrait être si simple, est devenu interminable avec toutes les précautions rituelles qu’il faut prendre avant et après, au nom d’un respect quasi « fétichiste » des saintes espèces. » …
Ce qui importe, c’est l’historicisation et l’actualisation permanentes de l’eucharistie.
… On a grossi, dans ce qui précède, les différences. Et, naturellement, dans une perspective qui croit faire preuve de piété et de charité, on va se récrier : il faut que ces deux formes coexistent, qu’elles s’enrichissent mutuellement, etc. Peut-être. Peut-être faut-il en effet «faire avec » ce mélange, quand on est catholique aujourd’hui.
Sauf que cette messe hybride, bâtarde, n’est guère satisfaisante, ni pour l’esprit, ni pour le cœur, ni pour l’intelligence, ni pour le corps.
…
On dira : mais l’« obligation » ?
Malheureusement pour l’Église, ce qui pouvait marcher en d’autres époques, où le catholique « pratiquait » même si c’était sans enthousiasme – tout simplement par obéissance aux commandements de l’Église – est devenu impossible : sans démarche personnelle motivée intérieurement, sans le désir d’en être et d’en vivre, la messe obligatoire est aussi lourde qu’une visite médicale obligatoire ou tout autre rendez-vous pénible. …
Mais la chute catastrophique et continue, durant les décennies récentes, dans de nombreux pays d’Europe ou sous influence européenne, de la « civilisation paroissiale », du nombre des pratiquants et même des croyants, donne à penser qu’on est dans une impasse et qu’il faut en chercher les raisons non pas dans un Concile qui s’est trompé de liturgie ou dans des excès liturgiques, mais dans une Église qui ne l’a pas assez prolongé et n’est pas à la hauteur des défis du temps présent. …