Celui qui ne travaille pas, ne mange pas (saint Paul) – Conférences au Sart-Tilman 4 mai 2017

CELUI QUI NE TRAVAILLE PAS NE MANGE PAS (saint Paul)

Tel était le thème de la conférence-débat donnée par le Professeur de Nouveau Testament à l’Université catholique de Louvain, Régis BURNET. Auteur de plusieurs livres dont  « Celui qui ne travaille pas ne mange pas », il anime « La Foi prise au Mot » sur KTO TV.

Cette phrase, qui heurte certains d’entre nous, prononcée il y a deux millénaires par l’Apôtre Paul dans sa deuxième lettre aux Thessaloniciens, retentit toujours à notre époque sans toutefois citer son auteur.

La règle « si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 10), reprise par Paul vraisemblablement d’une maxime populaire, a influencé les Pères du Désert, l’organisation des abbayes bénédictines avec leur devise « Ora et Labora » (Prière et Travail), la Réforme calviniste jusqu’au capitalisme globalisé. Elle est même reprise dans la Constitution des Soviets bolcheviques et les Nazis la rappelaient aux prisonniers de guerre « Kein Arbeit, kein Brot » tandis que Margaret Thatcher, « la Dame de fer », Première Ministre de Grande-Bretagne (1975-1990), l’aurait prononcée à plusieurs reprises lors de ses réformes radicales.

Cette phrase de la 2ème épitre paulienne aux Thessaloniciens a permis à certains de réprimer les pauvres.

Elle est à l’ordre du jour des débats politiques qui mettent l’accent sur le travail pour créer richesse et abondance de biens matériels.

Paul était un travailleur manuel, tisserand de son état. Il réalisait des tissages en poils de chèvres (les cilicia) (*) pour la confection de tentes pour n’être à la charge de personne. Il recommandait aux frères de se tenir à distance de tout frère qui vit dans l’oisiveté (3, 6) ne travaillant pas du tout mais se mêlant de tout (3,11).

A son époque, certains frères étaient persuadés que le Christ ressuscité  est de retour, que l’engagement dans le travail n’est pas nécessaire car la fin du monde est arrivée. Ceux-là sont alors qualifiés de paresseux, de fainéants. Paul leur dit qu’une personne qualifiée d’impiété ou « l’Impie », marquée par l’influence de Satan, doit arriver avant la fin du monde et que cette personne travaillera au grand jour mais que le Seigneur la fera disparaître par le resplendissement de sa Venue.

En réalité, la traduction du mot grec ATAKTOS ou ATAKTOI est « désordonné(s) » et non fainéants. L’origine de ce mot est dans TAKTIKÊ (l’art de ranger) et TAKTIS qui signifie l’ordre de bataille.

Désordonnés parce qu’ils sont :

  • un peu fainéants certes au sein de la Communauté ;
  • ils croient trop à la Venue très prochaine du Seigneur et préparent sa louange ;
  • enfin, leur attitude bouleverse l’ordre social.

 

Cependant, au temps de Paul, la société considérait que l’homme de bien, cultivé, souvent propriétaire, n’a pas la vocation de travailler de ses mains. Le mot travail est issu du latin trepalium qui signifie « instrument de torture ».

(*) La Cilicie, au sud-est de l’Anatolie (Turquie d’Asie) était renommée pour ses tissages.

Platon et son élève Aristote à l’origine du thomisme (4ème et 3ème siècles avant J.C.) affirment qu’un homme de bien, politique ne doit pas travailler manuellement car grâce à sa fortune personnelle, il ne se laissera pas acheter. Il ne sera pas commerçant, ni artisan.

Dans la Tradition juive, il n’y a pas condamnation du travail. Les premiers récits bibliques mentionnent qu’avant la faute, l’homme travaille au Jardin d’Eden et le cultive. « Dieu prit l’homme et l’établit dans le Jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15).

L’expression « celui qui ne travaille pas ne mange pas » a connu trois grandes périodes  :

  • Jusqu’au 12ème siècle, les Pères du Désert travaillent de leurs mains pour subvenir, prient et distribuent le surplus aux pauvres tandis qu’Augustin est à l’origine des communautés monacales ;
  • Puis vient le temps où sont dénoncées les inégalités trop importantes dans la société, du nombre grandissant de pauvres et de la fondation de nouveaux Ordres religieux : les Franciscains, les Dominicains. Ce sont les Ordres mendiants s’associant aux pauvres ; ils sollicitent les riches pour les aider.

L’époque des grands théologiens, tel que le Dominicain Thomas d’Aquin (1225-1274), connaît une évolution dans la conception du travail.  Devenus professeurs de Théologie dans les Universités, les Dominicains s’interrogent sur le fait qu’ils ne pratiquent plus les travaux manuels. Thomas d’Aquin, par l’évolution de sa pensée, annonce notre modernité. Tous, dit-il, nous devons travailler, tel le laboureur, mais tous ceux qui ne travaillent pas de leurs mains, tels les théologiens, ne pêchent pas cependant.  La phrase « Celui qui ne travaille pas ne mange pas » est un précepte de la Loi naturelle. Travailler fait partie de la condition humaine. Tout travail est digne, tout travailleur est à respecter.

Dans le monde, vous accomplissez votre vocation, souligne Luther. « Mein Beruf ist mein Beruf ». (Mon appel – vocation – est ma profession).

C’est pourquoi, ceux qui ne travaillent pas remettent en cause les relations humaines, c’est-à-dire l’ordreLe travail est le ciment de la société. Les pauvres sont dangereux pour l’ordre. En 1423, les Autorités bruxelloises imposent que tous les individus en état doivent travailler et, en 1530, Charles Quint édicte que seuls les malades et les infirmes sont autorisés à mendier. En France et en Grande-Bretagne, les mendiants sont enfermés à l’Hôpital général.

3) Enfin, la Règle de Paul est sécularisée. Les Lumières, l’esprit de la Révolution

française inscrivent le travail comme valeur de la société. Et Jean-Jacques Rousseau écrit que celui  qui vit au dépend de la société la vole ; il doit travailler. La sécurité est assurée par le travail. C’est le Contrat social. La règle de Paul est ainsi laïcisée.

Des hommes politiques belges, tel que le Liégeois Emile de Laveleye, affirment que travailler résulte d’une Loi naturelle ; comme l’estomac réclame la nourriture, l’homme possède des bras pour l’alimenter. Le travail évite l’oisiveté complète qui est une banqueroute frauduleuse…

En 1840, la révolution industrielle voit se développer la classe ouvrière dont des  membres s’organisent, réfléchissent sur les inégalités et créent le journal « L’Atelier » reprenant dans son titre la phrase de saint Paul, sans citer l’Apôtre. Ils affirment que les capitalistes ne travaillent pas mais font travailler les autres.

En 1848, Karl Marx reprend dans « Le Capital » la phrase de Paul et Lénine, qui a lu le livre de Marx, rédige en 1917, la Constitution des Soviets bolcheviques en inscrivant l’article « Qui ne travaille pas, ne mange pas ». C’est la règle essentielle pour les Soviets qui instaurent le « Livret de travail ». Le fondement de la société soviétique est le travail. « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ».

Dans la foulée, plusieurs Etats (Cuba notamment), imposent à chacun de travailler selon ses capacités.

Aujourd’hui, remarque le conférencier, le « Workfare » permet d’alimenter le « Welfare », l’Etat providence. Mais, on entend, à présent, que les pauvres restent pauvres parce qu’ils perçoivent des allocations et ne recherchent pas du travail ; ils sont considérés comme des fainéants. Cette idée est erronée ; l’indice de pauvreté est en croissance et beaucoup de sans travail ne perçoivent pas les allocations auxquelles ils ont droit. Le Professeur Burnet relève  que 54% des personnes au minimum social développent une maladie grave handicapante ou un choc psychologique.

Ainsi, la phrase de saint Paul, sous couvert de moralité et d’équité, aura servi, sur 20 siècles, à la volonté de contrôle et d’efficacité de sociétés aussi diverses que contradictoires.

Ce sont ces 2.000 ans d’idéologies du travail et de la pauvreté, de l’oisiveté coupable et de la réhabilitation industrieuse, du salaire du « péché » et du salut productiviste, de la solidarité communautaire et de l’individualisme financier, que récapitule l’histoire de cette formule de la 2ème Epitre aux Thessaloniciens.

PHS

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