Foi et croyance (A lire)

Jacques ELLUL, sociologue et théologien protestant, professeur à l’Université de Bordeaux, nous dit que nous confondons foi et croyance.

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Ce que je ne crois pas – et le premier devoir d’un homme libre est de dire non – est parfaitement clair et précis.

Ce que je crois est complexe, composé du plus diffus et du plus théorique. Ce que je crois me met en cause moi-même alors que ce que je ne crois pas peut être distancié, regardé comme extérieur.

Ce que je crois me trouve, en tout, personnellement impliqué et je ne puis en parler qu’en me mettant en cause moi-même. Il n’y a pas d’objet en quoi je croie, il y a un réseau de relations que je ne puis exposer en vérité, parce que l’exposé suppose une démarche didactique, la division de réalités parfaitement imbriquées les unes dans les autres. Je ne puis tout traiter ensemble. J’ai besoin de défaire les complexités, de saisir des objets que je puis examiner l’un après l’autre, et par conséquent je dénature, je transforme le vivant en planches dessinées. Je brise les relations des composants entre eux, je ne puis qu’évoquer le complexe, mais sans le restituer pour l’autre, et je passe d’un infini à un défini (étymologiquement, situé à l’intérieur des frontières).

Ma vision, ma compréhension ne sont pas holistiques.

LA CROYANCE est de l’ordre de la vie quotidienne et sert de fondement à tout ce qui constitue notre existence. Tout repose sur des croyances ; toutes nos relations humaines sont faites de croyances.

Nous croyons les « vérités » scientifiques : E = mC², par exemple, parce qu’on nous l’a dit et répété. Je  passe sur le pont car je crois qu’il ne s’écroulera pas. Je crois que tel événement peut se produire. Je crois que tel acte ou telle décision entraînera telle conséquence. Cela se situe au confluent de l’intérieur et de l’extérieur, du sensible et de l’intellectuel, de l’imaginaire et de l’expérimental, …

L’élève croit ce que dit le maître ou le livre.

Nous croyons au témoignage de nos sens, mêmes perturbés. Nous croyons à certains mots : bien, liberté, justice, etc. qui n’ont guère de consistance claire.

Une société sans croyances collectives (bien entendu individuelles aux yeux de chacun !) ne pourrait que tomber dans l’anomie et s’engager dans un processus de dissolution.

Les croyances sont en définitive la raison d’être de la société.

Les croyances peuvent aussi être religieuses. Ces croyances religieuses font partie du tout. La religion lie les hommes entre eux, et un groupe humain avec ses divinités. C’est finalement pour être reliés les uns aux autres que les hommes se réfèrent à un être plus élevé, une divinité, qui sert de garant et de signifiant au groupe. Dès lors l’objet de cette religion peut être fort divers, que ce soit une ou plusieurs divinités projetées dans le Ciel ou l’Universel, ou la Science ; l’hitlérisme, le marxisme-léninisme furent une religion, la patrie ; le progrès est devenu le grand maître mot de notre religion moderne (chacun comportant ses rites, mythes, croyants, hérétiques, …).

Ainsi, l’objet de la religion n’est en rien forcément Dieu.

LA FOI s’adresse à Dieu.

Un Dieu qui n’incarne pas une force de la nature ou qui n’est pas une projection abstraite et hypostasiée d’un de nos désirs, d’une de nos aspirations ou d’une valeur, la foi en un Dieu qui est différent de tout ce que nous pouvons concevoir ou imaginer, est bien inassimilable à la croyance.

Si Dieu est Dieu, Il est inévitablement différent de tout ce que les polythéismes ont nommé dieu.

Le Dieu de la foi est si fondamentalement Autre que nous ne pouvons ni le définir ni le contempler. Dieu de la foi est parfaitement inaccessible.

Dans les attaques portées contre Dieu, nous constatons que ceux qui parlent attaquent, à juste titre souvent, l’image de Dieu que, à un moment et en un lieu donnés, l’homme s’est construite. C’est notre image de Dieu – par commodité -, ce n’est pas Dieu.

Par nous-mêmes nous ne connaîtrons rien de Dieu, c’est seulement lorsqu’Il veut bien dévoiler une infime partie de son être que nous accédons à une infime connaissance et reconnaissance. Pour cela, Dieu est tenu de se mettre à notre niveau de compréhension, à notre niveau culturel, intellectuel pour que ce qu’Il veut transmettre de Lui soit accessible. Il emploiera le moyen le plus apte à établir une communication humaine : la parole.

Question : Pourquoi ce Dieu tient-il à ce partiel dévoilement ?

Dieu est l’Inconditionné (s’Il était conditionné par quoi que ce soit, Il ne serait pas Dieu !). Aucune « raison préalable » à l’action et à la décision de Dieu MAIS dans la ligne juive et chrétienne, une réponse complémentaire. Dieu en tant que Créateur ne veut pas laisser Sa créature sans relation et sans référence. Dieu en tant qu’amour ne peut pas rester dans sa solitude : l’amour s’adresse à quelqu’un et non pas à soi-même.

Opposition entre la foi en ce Dieu-là et toutes les croyances.

La croyance, utile pour que la société se maintienne, est nécessairement collective.

La foi est l’inverse. Elle a d’abord relation personnelle, dialogue de l’Etre et d’un individu. La foi ne peut naître que dans la mesure où c’est Dieu qui descend vers l’homme.

La croyance cherche toujours à monter vers ce qu’elle considère comme Dieu.

La foi reçoit Celui qui descend de sa « transcendance » pour se mettre au niveau de cet enfant qu’Il veut rejoindre. (Pensons ici au lavement des pieds, que nous commémorons le Jeudi-Saint).

ATTENTION cependant à la transformation de la foi en croyance en prétendant connaître complètement ce Dieu à qui elle s’adresse ; lorsqu’elle se fixe en affirmations définitives et immuables, veut s’expliquer en formules radicales qui serviront à déterminer le vrai, lorsqu’elle prétend recouvrir le tout d’une société et devient ainsi ciment de cette société et lorsqu’elle prétend contraindre les autres à reconnaître la vérité de ce Dieu-là. Alors, il n’y a plus foi, il y a croyance et religion instituée.

Enfin, Jacques ELLUL remarque qu’au cours de son existence, ce qu’il tenait pour vrai n’est pour lui plus aussi certain, et qu’inversement sa croyance s’est enrichie d’expériences et de rencontres, de hasards et de quêtes, qui ne lui ont pas donné plus de certitudes, mais qui l’ont fait autre et le même.

(Recueillis par Paul-Henri SIMON)

Pâques 2009.

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