L’élan du cœur vers les sans-abris ou quand la compassion nous tient.
Véritable coup de foudre citoyen pour ceux qui dorment sous les profondeurs veloutés de minuit.
Véritable élan de solidarité, de compassion en faveur de ceux qui si souvent, nous font changer de trottoir.
Véritable engagement pour sauver la vie et pour comprendre que la vraie civilisation est faite d’accueil et de dévouement envers les autres. Ouvrir les portes de chez soi au plus petit est une preuve de civilité. Une ancienne histoire qui fait partie de notre culture nous raconte qu’un enfant qu’on avait mis dans une corbeille enduite de poix et qu’on avait lâché au fil de l’eau a été accueilli dans une famille royale et cet enfant a contribué à la libération de son peuple de l’esclavage et à un début d’une nouvelle civilisation.
Oh ! Si la fille du Pharaon n’avait pas retiré des eaux le panier du petit Moïse, y aurait-il eu une première prise de conscience de la malice de l’esclavage ?! Si Polybe n’avait recueilli le petit Œdipe, Sophocle n’aurait probablement pas écrit sa plus belle tragédie ! Au début de tant de mythes anciens, il y a quelqu’un qui éprouve de la compassion et sauve une vie abandonnée.
Peut-on laisser dériver sur les eaux furieuses d’un fleuve la corbeille où s’abrite un enfant ? Peut-on livrer au virus destructeur la vie de nos concitoyens sans-abris ? Soyons à la hauteur de la crise pour sauver et accueillir au fil des jours tant de vies déposées dans des corbeilles en osier et qui passent près de chez nous. Laissons frémir notre cœur de compassion et cueillons l’occasion de reconstruire notre civilisation.
Cette compassion, ce n’est pas seulement : « souffrir avec », « compatir » comme le fait remarquer l’adroit romancier Tchèque Milan Kundera. L’étymologie latine implique le substantif : souffrance. En tchèque, ce mot se traduit par un autre substantif qui signifie « sentiment » (sou-cit).
Si en français le mot compassion signifie que l’on ne peut regarder d’un cœur froid la souffrance d’autrui ; autrement dit : on a de la sympathie pour celui qui souffre ou de la pitié. En tchèque, la force de son étymologie baigne le mot d’une autre lumière et lui donne un sens plus large : avoir de la compassion (co-sentiment), c’est pouvoir vivre avec l’autre son malheur mais aussi sentir avec lui n’importe quel autre sentiment : la joie, l’angoisse, le bonheur, la douleur.
Dans notre langue, le mot compassion inspire un sentiment condescendant. En tchèque, il désigne la plus haute capacité d’imagination affective, l’art de la télépathie des émotions. Dans la hiérarchie des sentiments, c’est le sentiment suprême.[1] De ce fait, on ne parle plus de « compatir » mais de « co-sentir » car l’autre est considéré à la fois dans son malheur et son bonheur, dans sa déchéance et sa splendeur, dans sa bassesse et sa dignité. La compassion ce n’est donc pas s’abaisser jusqu’à l’autre, c’est s’élever avec lui et le considérer d’abord dans sa dignité d’homme.
Ce n’est pas de la pitié que de sauver une vie ! C’est certainement co-sentir la valeur de toute vie humaine.
B. Rodney
[1] Cfr. Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, Gallimard, Paris 1984, pp. 30-31.