L’alchimie du « sociopolitique et du religieux », sirop d’orgeat ou nitroglycérine ?
Voilà déjà un peu plus de 72 heures, (c’était le 23 mars 2020) Macron a décidé d’engager un échange avec les différentes confessions religieuses présentes sur le territoire français, dans la lutte contre le Covid-19. Quelle que soit l’interprétation qu’on donne à cet acte citoyen, une chose demeure certaine : la religion n’est pas une chose du passé. Ce n’est pas un animal empaillé, une pièce de musée ou un ancien enfantillage dont l’esprit critique nous a débarrassés. Après tout, cet acte ne doit pas être interprété comme une manière de faire rentrer par la porte de derrière un loup qui a été chassé de la bergerie politique et sociale depuis au moins un siècle. C’est plutôt le témoignage que la Cité (polis) a besoin de l’apport de tous ses concitoyens pour fonctionner normalement. D’où l’alchimie de toutes les composantes de la vie sociale, même si ces composantes seraient opposées l’une à l’autre ou auraient des missions différentes.
En ce sens, chaque citoyen est, en quelque sorte, appelé à devenir « alchimiste » dans sa manière de travailler à l’unité de tous les éléments ; pas seulement en temps de crise, pour arriver à façonner le « Grand Œuvre » social.
La diversité des éléments n’était pas un frein, mais une chance pour les alchimistes. Ainsi, le caducée, ce fameux bâton d’Hermès orné de deux serpents : le soufre et le mercure, substances élémentaires opposées et pourtant, elles étaient unies dans l’équilibre paradoxal qui préside à la formation de la matière. La liste de l’énigme de la coïncidence des contraires est longue, nous pourrions encore parler d’Hermaphrodite, du soleil et de la lune ou de l’ouroboros qui tire le nouveau du plus ancien. Nous pourrions aussi penser à Empédocle d’Agrigente, poète, philosophe et médecin. Il pensait que les quatre éléments fondamentaux : l’eau, la terre, le feu et l’éther (ou l’air) étaient engendrés par l’union de la Haine et de l’Amour. N’ayons donc pas peur de la différence, nous pouvons inviter la religion dans un débat de société, non pas pour apporter une réponse mais pour produire une réflexion citoyenne d’un autre genre.
Quoi qu’on en dise, l’homme est fondamentalement et incessamment relié. Son premier lien ou religion est la nature, le cosmos. Cette religion est pratiquée à travers le goût que nous avons pour le climat, la mer, la montagne ; l’expérience que nous faisons des énergies naturelles, notre rapport à la beauté du créé et même le soin que nous prodiguons à notre propre corps. Cette religion est préhistorique.
Le deuxième lien ou la deuxième religion est la Cité. Elle se traduit par le sens de la société, la volonté de participer et faire bouger la vie sociale et politique, le respect de la famille et la mémoire des ancêtres. Nous cultivons le sens du genre humain, du pays auquel nous appartenons, de l’éducation, des arts et de la civilisation.[1] Tout cela nous relie et donne sens à notre vie. Nous déposons des fleurs au cimetière et allumons parfois une bougie pour honorer la mémoire de nos disparus, de qui nous nous sentons proches et à qui nous sommes reliés. Un détour chez les Grecs ou les Romains nous le prouve.
La troisième religion, la plus contestée, parce que la plus reconnue comme telle et la plus systématisée, peut-être, est celle de la Transcendance et du mystère. Celle de l’arrêt et du recueillement. Celle de l’infiniment éloigné et du tout-proche. La religion de l’Être qui nous dépasse et nous enjoint sans cesse à nous remettre en question.
Le propos n’est pas de reconnaître une autorité religieuse quelconque, mais bien de pouvoir débattre avec la religion comme faisant partie du paysage social et cesser de nier l’inéluctable liaison existant entre l’humain et le divin. Voilà le sens que je perçois dans cette démarche d’Emmanuel Macron. C’est le fait de reconnaitre que, peu ou prou, l’humain est relié au transcendant. Je ne la perçois pas comme une tentative politico-diplomatique de montrer une union nationale.
Hannah Arendt pense que ce n’est pas en nous tournant vers le passé, c’est-à-dire vers des formes d’autorités traditionnelles ou religieuses, que nous trouverons la solution aux problèmes de la vie sociale et de la pensée politiques modernes[2]. C’est entièrement vrai. Néanmoins, Descartes, de qui nous nous réclamons sans cesse en arguant « je suis cartésien », recommande de respecter la religion, les règles et les coutumes de son pays.[3] Il ne s’agit pas de faire une religion d’État, mais de consentir que la religion a sa place dans toute société.
La cohabitation du politique et religieux dans un débat de société est toujours possible, ça l’a toujours été. Cette association n’est ni du sirop d’orgeat ni de la nitroglycérine (douceur agréable / toxicité ou explosivité) mais c’est une alchimie qui doit se réaliser à travers un réalisme citoyen où chacun trouve sa place et un espace de parole. Laïcité et démocratie ! La religion et la politique sont des domaines différents et spécifiques de l’existence et de l’activité de l’humain, mais capables de s’unir pour répondre, chacune à sa manière, aux aspirations des citoyens. Merci Monsieur Macron.
Que la Polis trouve à travers les nombreuses diversités qui la composent, la pierre philosophale tant convoitée par les alchimistes.
Rodney Barlathier
[1] Cfr. Bertrand Vergély, La tentation de l’Homme-Dieu, Editions Le Passeur, Mesnil-sur-l’Estrée, Avril 2015, p. 96.
[2] Cfr. Jean-Claude Poizat, Religion, politique et sécularisation dans la pensée de Hannah Arendt : le totalitarisme est-il une « religion séculière » ? p. 86.
[3] Cfr. René Descartes, Discours de la méthode, 3e partie, Nathan 1988, p. 48.