Tôt ou tard, tout haut ou tout bas, dans les médias ou dans les chaumières…la question devait se poser un jour face à la progression du Covid-19. Après des récents et houleux débats sur l’avortement et la réalité désormais ancienne, acceptée ou contestée de l’euthanasie ; nous voilà encore une fois replacés devant notre responsabilité face à la vie. Dans les colonnes de la Libre Belgique du mardi 24 mars 2020, Valérie Kokoszka (Docteure en philosophie) fait remarquer le dilemme éthique dans lequel nous nous retrouvons aujourd’hui. Dans une perspective utilitariste et de recherche du plus grand bien (maximiser le bien-être collectif), le corps soignant devrait pouvoir sauver des vies qu’il juge valoir la peine pour le bien de la société, en fonction de l’utilité sociale du citoyen. Tandis que dans une approche humaniste, le corps soignant devrait soigner celui dont le pronostic vital est plus engagé, le premier arrivé, celui qui a le plus besoin…indépendamment de l’âge, de la position sociale et de la probabilité d’espérance de vie. En se disant que toute vie vaut la peine d’être sauvée !
De l’avis de Madame Kokoszka, aucune de ces deux approches ne répond de manière exhaustive à la question de la vie. Ces deux modes de pensée sont complémentaires et le choix se joue dans le cœur et la tête du médecin / infirmier…à l’heure de la décision.
Devra-t-on abandonner les plus vulnérables ? Dans le pire des cas, est-ce que le Covid-19 n’offrira pas une occasion d’euthanasies massives, mais cette fois, sans le soutien et la présence des proches ? Ou bien, la douce mort cèdera sa place au « laisser mourir » en fonction d’un calcul boutiquier sur la valeur de la vie. Et c’est précisément ici que réside la question fondamentale : La vie, a-t-elle une valeur ou un prix? Ne devrions-nous pas parler de dignité de la vie ? L’illustre penseur de Königsberg, Emmanuel Kant, explique qu’il existerait deux façons de voir la vie. La première peut être exprimée par la valeur marchande et la deuxième par la dignité. La valeur correspond à un prix comme si on était sur le marché des esclaves, tandis que la dignité renvoie à ce qui est sans prix.[1] L’homme n’a pas de prix et on ne peut pas le réduire à un calcul coût-bénéfice, ce serait le dévaloriser et c’est indigne. La dignité, c’est ce que patiemment on doit restituer à autrui pour donner un sens à ses pas. C’est un exercice inédit de la justice et une fraternité sensible entre tous les hommes sous l’égide de la question : « Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ? »
Qui donc soigner ? Eh bien, il faut soigner l’homme, digne et sans prix, au-delà de tout calcul ; le vieux comme le jeune. Éviter ainsi une vision obstinément scalaire de la société pour contempler l’homme dans la candeur originelle de son humanité. L’homme, quel qu’il soit, est porteur de grandes choses. Sophocle dans Antigone n’hésite pas à le dire : « Entre tant de merveilles au monde, la grande merveille c’est l’homme ». Il est au-delà de toute fonction, de toute utilité, sans prix. Sa vie n’a pas de valeur, mais est digne d’être préservée. Et vous, qu’en dites-vous ?
Rodney Barlathier
[1] Cfr. Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, p. 160.