Homme, où est ta limite?

« Connais-toi toi-même » telle est l’inscription affichée sur le fronton du temple de Delphes et qui intrigue tout étudiant qui débute son cursus de philosophie. Cette inscription parle de l’humain et de ce qu’il a de plus cher : son for intérieur et l’approfondissement de celui-ci. La philosophie ne cherche pas tant à décrire le monde extérieur qu’à inviter l’humain à se scruter pour percer son propre mystère. Le culte de la vertu, le sens de l’excellence morale est la principale préoccupation de l’antiquité philosophique grecque.  En témoigne la prière de Socrate au dieu Pan à la fin du Phèdre, magnifique livre sur l’art oratoire et la beauté : « Cher Pan, et vous divinités de ces lieux, donnez-moi la beauté intérieure, et que l’extérieur soit toujours en harmonie avec l’intérieur. Que le sage soit à mes yeux toujours riche ». Le sage étant celui qui a accompli dans son être cet idéal vertueux et vivant en harmonie avec le monde extérieur.

Pour les Grecs, l’introspection, l’intériorité est le point de départ de tout, le fait de pouvoir reconnaître ses valeurs, mais aussi ses limites. Limites au-delà desquelles on essaie justement d’aller par l’acquisition de la sagesse, qui est aussi le sens de l’équilibre, du juste milieu. D’où l’expression de Blaise Pascal : « L’homme passe infiniment l’homme ». Il est capable de se transcender « se transhumaner » se projeter au-delà de lui-même par la raison, pour dépasser sa condition animale. Mais jusqu’où ? Ce qui fait ce dépassement, ce n’est pas uniquement le développement horizontal de sa puissance par une logistique technique et/ou technocratique mais c’est surtout un surgissement vertical de son être en quête de sens et d’absolu. Pour que l’homme s’élève, il a besoin d’un Ciel, sa merveille est dans cette poussée verticale de bas en haut, il n’est pas que physique, il est aussi métaphysique.  

Homme, écorché vif, tiraillé entre l’intériorité et l’extériorité, créature la plus déchirée entre animalité et divinité ; comment peut-on vraiment réussir à réaliser en soi le fameux oracle de Delphes : connais-toi toi-même ? Comment atteindre le juste milieu ? Rester humain ? Où se situent nos limites ? En passant à côté de la connaissance de soi ou en l’outrepassant, ne risque-t-on pas de se perdre ? Je suis pris d’effroi en relisant cette strophe du poème : Le dieu créateur, de Maupassant :

« La nature, d’essai en essai, allant du plus imparfait au plus parfait, arrive à cette dernière création qui mit pour la première fois l’homme sur la terre. Pourquoi le jour ne viendrait-il pas où notre race sera effacée, où nos ossements déterrés ne sembleront aux espèces vivantes que des ébauches grossières d’une nature qui s’essaie »?

Mais, est-ce la nature qui essaie ou toi, homme qui, d’essai en essai, risque de t’autodétruire ? Ta dignité est dans ton mystère, dans l’étonnement qui te caractérise et dans ta présence qui est épiphanique, manifestation de l’absolu. Tu es relié, mais pas qu’à toi-même comme le souligne Jean-Paul Sartre dans L’existentialisme est un humanisme, en disant que l’homme est enfin homme quand il ne s’accroche qu’à lui-même dans une solitude métaphysique absolue. Si tel devait être le cas, homme auto référencié et nombriliste, te serait-il encore permis de parler du « prochain », de la mémoire du passé, de la gratitude vis-à-vis de la vie ? Et pourtant :

« Nous rions, nous trinquons. En nous défilent les blessés,
Les meurtris ; nous leur devons mémoire et vie. Car vivre,
C’est savoir que tout instant de vie est rayon d’or
Sur une mer de ténèbres, c’est savoir dire merci ». (François Cheng)

Savoir dire merci avec les autres, pour soi-même et pour le monde extérieur ; savoir avec les autres, travailler pour que cet extérieur ne se défasse pas, comme le dit Camus. Enfin, relier l’intérieur et l’extérieur dans une parfaite harmonie pour un monde toujours plus vivable. Ensuite, et Dieu dans tout ça ? Où le mets-tu ? Oui, tu es relié ; quadruplement relié : à toi, à l’autre, à la nature et à l’Autre.

            Tu penses être illimité mais chacune de ces quatre dimensions te répètent sans cesse que tu es limité et qu’il te faut trouver le juste milieu en tout. Par ailleurs :

Tu deviens illimité, quand tu accueilles la Résurrection qui te fait aller au-delà de ta finitude.

Tu deviens illimité, quand tu accueilles et donnes l’amour à ton prochain ; quand tu l’aides à grandir.

Tu deviens illimité, quand tu prends soin de la création qui t’a été confiée.

Tu deviens illimité, quand tu laisses Dieu être Dieu dans ta vie.

Jamais tu ne pourras être illimité en faisant fi de l’un de ces aspects, ta vie trouve son sens dans le parfait équilibre entre les quatre. Enfin, tu es illimité quand tu embrasses tout, dans la mesure.

Rodney Barlathier

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